Entrevue avec Luc Massicotte : Multiplier les points d’accès en prévention du suicide
L’écosystème numérique de suicide.ca occupe une place très spéciale chez nventive, autant pour la cause qui nous tient à cœur que pour la collaboration de longue date qui en a découlé. Luc Massicotte, PDG par intérim de l'Association québécoise de prévention du suicide (AQPS), nous raconte la genèse du projet, sa contribution à la mission de l’AQPS et son impact concret pour les personnes en détresse, leurs proches et les gens endeuillés par le suicide.
Bonjour Luc! Premièrement, peux-tu te présenter et nous parler de ton rôle?
Bonjour, je suis le PDG par intérim de l'Association québécoise de prévention du suicide (AQPS), mais généralement, j'occupe les fonctions de Directeur de la stratégie et des services numériques depuis que j’ai rejoint l’équipe en 2019. Je travaille entre autres au développement de la stratégie numérique entourant suicide.ca.
Si tu avais à résumer le rôle de l’AQPS, comment le présenterais-tu?
L'Association est un OBNL qui existe depuis 1986 et qui a joué beaucoup de rôles depuis ses débuts. Aujourd’hui, elle transfère et diffuse des connaissances sur la question du suicide, tout en mobilisant les communautés, les citoyens, et les organisations qui souhaitent contribuer à la prévention du suicide. D’un côté, l’AQPS sensibilise le public et démystifie le suicide; d’un autre, elle interpelle les décideurs de toutes sortes pour solliciter plus de ressources. Et maintenant, nous avons mis un pied dans la prestation de services par suicide.ca.
Peux-tu nous brosser un portrait de la réalité du suicide au Québec?
La connaissance et la capacité d'agir sur la détresse au Québec, elles sont grandes. On est un des endroits per capita sur la planète où y a le plus de chercheurs sur la question du suicide. Nos méthodes d'intervention sont réputées à travers le monde! La qualité, la quantité et l'intensité des services en prévention du suicide se sont nettement améliorées : il y a beaucoup plus de services disponibles et ils sont surtout beaucoup plus facilement accessibles.
La prévention du suicide est une question de santé publique qui demeure préoccupante, mais qui somme toute progresse. On est toujours à plus de 1000 décès par année, donc une moyenne de plus de 3 décès par jour, mais le bilan s'est amélioré au début des années 2000, où on a atteint en quelque sorte un sommet de mortalité. Depuis, on a vu les taux de suicide décroître de façon modeste, mais constante.
Quel est l’impact de la plateforme suicide.ca sur ce bilan?
Il y a absolument une contribution! Le premier impact, c’est l’accès à l’intervention. L'objectif de suicide.ca, c'est de pouvoir offrir de l'intervention par d'autres moyens que le téléphone ou la rencontre en personne, avec des humains rémunérés, spécialisés, par clavardage et texto. Ça, c’est une avancée significative pour stimuler l’accessibilité à certaines communautés plus éloignées ou vulnérables.
Le deuxième impact, c'est d'arriver dans la modernité : nous avons maintenant un écosystème numérique d'intervention et de diffusion d'information qui est extrêmement solide. Mais, nous ne faisons que commencer ce virage numérique. En termes d'innovation, nous ne sommes pas des premiers de classe. Tel-Jeunes, Jeunesse J’écoute, les Américains ont des produits semblables depuis bien longtemps. Mais nous envoyons le signal que nous prenons le virage, c’est la première étape.
Ce que nous souhaitons, c’est que les personnes en détresse aient rapidement accès aux ressources. Suicide.ca vient s’additionner aux services existants et solidifie le filet de sécurité. Le numérique a permis d’augmenter l’intensité de service. Peu importe où on est, dans quelle situation, à quel moment, on peut avoir de l’aide.
Comment a débuté l’élaboration du projet suicide.ca?
Nous voulions pouvoir offrir une expérience qui s'inscrit dans un modèle logique et qui répond à un besoin. Donc, la première étape du côté de l’AQPS était de réaliser de la recherche UX, mais avec une approche plus clinique que numérique. Une fois nos résultats en main, nous avons demandé à nventive de se greffer au projet pour consolider ces deux approches. Avec votre expertise, il a fallu marier notre savoir clinique et nos prévisions des comportements numériques avec l’observation des comportements réels des utilisateurs.
Bien que les approches clinique et numérique se soient complétées, on ne peut pas dire qu’elles sont tout le temps complémentaires. Prenons le triage, par exemple : les utilisateurs de suicide.ca doivent répondre à plusieurs questions avant d’accéder à l’intervention par texto ou clavardage. Or, devoir remplir un long questionnaire ne figure pas dans les meilleures pratiques du numérique où tout doit être rapidement accessible. Mais il nous est nécessaire d’obtenir ces informations, et celles-ci doivent être soutenues par le numérique pour nous permettre d’offrir notre service. C’est un défi sur lequel nventive et l’AQPS se penchent encore, afin que les besoins cliniques soient au service de l’expérience numérique, et vice versa.
De quelle manière l’apport de nventive vous a permis d’amplifier votre mission?
Même si nous sommes une organisation de grande envergure dans le milieu de la prévention du suicide, nous n’avions aucune structure technologique interne. nventive nous a énormément aidés à adopter la bonne posture pour bien gérer notre projet technologique.
La collaboration avec nventive nous a aussi donné de la crédibilité dans le domaine technologique. Nous avons été récipiendaires de trois prix OCTAS la première année de mise en service! Pour nous qui ne venons pas du monde numérique, c'est très important. Nous avons senti chez l’équipe de nventive l’engagement pour la cause et le projet. Nous avons véritablement trouvé un partenaire centré sur notre mission et notre objectif.
Selon toi, qu’est-ce qui distingue suicide.ca des autres solutions sur le marché?
Ce qui se démarque dans notre approche, c’est que nous avons offert un écosystème complet dès le départ. Plateforme d'information, application mobile, intervention par clavardage et texto, tout ça d’un coup! Mais en termes de solution, c’est difficile de se comparer avec les autres acteurs de la prévention du suicide. On n’œuvre pas dans un milieu compétitif. Il y a une entraide qu’on ne retrouve pas dans d’autres domaines puisqu’on vise tous une mission commune. On ne tend pas à se différencier, on cherche plutôt à constamment s’améliorer.
Nous avons travaillé de près avec le doctorant Louis-Philippe Côté, notre conseiller scientifique principal, qui a fait beaucoup de recherche avec l’UQÀM et qui connaît à peu près toutes les solutions numériques de prévention du suicide à travers le monde. Avec son aide, nous avons décidé de faire un collage des fonctionnalités les plus intéressantes et pertinentes, mais à la sauce québécoise.
L’une des valeurs ajoutées que l’AQPS a peut-être par rapport à ce qui se fait ailleurs dans le monde, c'est l'énergie et le dévouement que nous avons mis sur le développement de paramètres éthiques et de cybersécurité pour nos utilisateurs. Nous avons une pratique éthique et de gouvernance dont je suis très fier.
Vers où souhaites-tu voir évoluer l’écosystème suicide.ca?
Dans un premier temps, nous aimerions développer des outils qui vont lier plus facilement nos utilisateurs aux professionnels de soins. Nous avons des données d'une valeur incroyable pour le milieu de la prévention du suicide. Dans un contexte éthique, sécuritaire et universitaire, nous voudrions faire en sorte que ces données puissent être utiles à l’amélioration et au développement de la pratique clinique standard.
Dans un deuxième temps, je veux que la plateforme demeure innovante. Bien sûr, nous surveillons de près ce qui se passe en intelligence artificielle (IA) pour voir comment nous pourrions améliorer l’expérience utilisateur. Mais attention : jamais un robot conversationnel ne sera mis en place pour le clavardage ou le texto. Nous pensons plutôt à l’IA pour aider les gens à accéder plus rapidement à du contenu encore plus spécifique à leur profil.
Selon moi, avec suicide.ca, nous avons accompli une mise à niveau. Nous avons fait du rattrapage sur le plan technologique et il va falloir continuer d’innover, notamment pour le repérage des gens en détresse. Il faut trouver un moyen de détecter ces personnes dans les plateformes numériques qu’elles utilisent afin de pouvoir les aider. C’est un défi de tous les instants et c’est au cœur de la stratégie numérique de l’AQPS.